Sur Thích Quảng Đức, Bà Đặng Thị Kim Liêng et l’Auto-Immolation

La rédactrice en chef de diaCRITICS Julie Thi Underhill commente la pratique de l’auto-immolation et le suicide politique de la mère de Tạ Phong Tần, Bà Đặng Thị Kim Liêng, avant de republier un article concernant les circonstances de son décès en juillet 2012. Cet article a été posté onze jours seulement avant le décès de Malcom Browne, qui avait photographié la célèbre auto-immolation de Thích Quảng Đức en 1963, laquelle ouvre l’article.

As part of our effort to reach out to Francophone Vietnamese populations, we offer a translation of an English language article by diaCRITICS managing editor Julie Thi Underhill. She comments upon the practice of self-immolation and the political suicide of Tạ Phong Tần’s mother, Bà Đặng Thị Kim Liêng, before reprinting an article about the circumstances surrounding her July 2012 death. This piece was posted just eleven days before the death of Malcolm Browne, who’d captured Thích Quảng Đức’s famous 1963 self-immolation photo, which opens the piece.

This article was translated in French by Anne Dao.

[avant de commencer : vous aimez diaCRITICS ? pourquoi ne pas vous abonner ? voyez les options à droite, via feedburner, email, et blogs connectés]

Thích Quảng Đức en 1963, photographié par Malcolm Browne

 

Chaque fois que j’apprends que quelqu’un s’est immolé-e par le feu, cela me rappelle le moine bouddhiste Mahayana d’un certain âge, Thích Quảng Đức. Le 11 juin 1963, alors assis en position du lotus à un bruyant carrefour de Sài Gòn, Quảng Đức commit un suicide politique par auto-immolation afin de contester la vaste répression religieuse exercée à l’encontre des bouddhistes par le président sud-vietnamien, Ngô Đình Diệm. Comme je suis née aux Etats-Unis treize ans après le décès de Quảng Đức, j’en savais très peu sur ce suicide historique avant de visiter la pagode Thiên Mụ à Hué, qui abrite l’Austin qui l’avait conduit à ce carrefour de Sài Gòn – la voiture et le suicide rendu célèbres par la photographie étrange du moine brûlant de lui-même, assis, parfaitement immobile et se tenant bien droit, dans un nuage impressionnant de feu et de fumée, photographie prise par le célèbre journaliste Malcom Browne. Le reporter du New York Times David Halberstam fut le témoin oculaire du décès de Quảng Đức. Il se souvient : « Alors qu’il était en feu, il ne bougea pas un  muscle, ne produit aucun son, et son calme extérieur contrastait fortement avec l’agitation des gens autour de lui ». Plus tard, alors que j’étudiais des documents d’archive rares se trouvant à l’Université de Cornell, j’examinai les photographies séquentielles de l’auto-immolation et l’exhibition du cœur de Quảng Đức. C’est alors seulement que je pris conscience que son cœur était resté intact, non brûlé, en dépit de l’auto-immolation et de la crémation, un symbole de sa piété et de sa pureté manifestes selon les bouddhistes.

Le chapitre 23 du Soutra du Lotus, un livre sacré important pour les bouddhistes Việt Namiens et d’autres bouddhistes Mahayana, semble être une source primaire concernant les origines de l’idée d’auto-immolation. Quand le bodhisattva Roi Médecin offre son propre cœur au Bouddha, il opère divers actes d’auto-mutilation, incluant l’immolation de lui ou elle-même afin d’attirer l’attention sur la souffrance des autres. Le Sermon du Feu, l’un des trois discours cardinaux du Bouddha, offre une perspective supplémentaire sur le fait que le monde lui-même est en feu, brûlant de souffrance. Il s’agit d’une idée ancienne dans le bouddhisme Mahayana, et pourtant les périodes de plus en plus assombries par le désespoir appellent des mesures de plus en plus désespérées. Décrivant les années 1960 au Việt Nam, le moine bouddhiste Mahayana Thích Nhất Hạnh remarque : « Quand les bombes commencent à pleuvoir sur les gens, on ne peut pas rester en permanence dans le hall de méditation ». En dépit du respect de longue date pour l’auto-immolation dans la tradition du bouddhisme Mahayana, le suicide public et politique de Thích Quảng Đức en 1963 fut en réalité le premier d’une série de trente-sept auto-immolations par les membres du clergé bouddhiste du sud du Việt Nam. De plus, il fut aussi la première auto-immolation trouvant un écho mondial. Durant la nuit, la photographie de Malcom Browne attira l’attention internationale sur les répressions perpétrées à l’encontre des bouddhistes sous le régime de Diệm, un catholique dont la belle-sœur Madame Nhu fit une fois froidement référence aux auto-immolations, qualifiant celles-ci de « barbecues bouddhistes », tandis qu’elle fournissait encore plus d’essence aux moines.

Alors même que l’auto-immolation de Quảng Đức éveilla plus encore le mouvement du « bouddhisme engagé » au Việt Nam, la contestation contre Diệm résonna dans la population générale. « Presque immédiatement, de grandes manifestations commencèrent à se développer, lesquelles ne se limitaient plus seulement au clergé bouddhiste mais commencèrent à attirer un grand nombre de citoyens ordinaires de Saigon », se souvint Malcom Browne plus tard dans une interview. A partir de la publication de sa photographie sur la page de garde des journaux du monde entier, faisant trembler jusqu’à la Maison Blanche, une « rébellion » commença qui mena finalement au coup d’Etat de novembre 1963 par les généraux de l’Armée de la République du Việt Nam, suivie par l’arrestation et l’assassinat de Diệm, lui-même appuyé par les Etats-Unis, et de son frère. Depuis cette année intense, plus de 3000 auto-immolations (dans le monde) suivirent celle de Quảng Đức, incluant la mort de Norman Morrison devant le bureau du Pentagone du Secrétaire de la Défense Robert McNamara en 1965, incident affectant profondément le législateur américain, ce qu’il confessa des années plus tard dans ses mémoires et dans le documentaire particulièrement pertinent d’Errol Morris The Fog of War. De nombreux Tibétains se sont également auto-immolés afin de contester le régime chinois au Tibet, y compris jusque récemment.

Comme dit  mon vieil ami Wm.Howell: « Il y a des fois où on ne peut dire les choses qu’avec le corps ». A ce jour, les suicides publics par le feu ont toujours le pouvoir d‘éveiller des réactions et changements sociaux énormes, incluant les révoltes actuelles dans le monde arabe, largement déclenchées par l’auto-immolation du marchand tunisien Mohamed Bouazizi en décembre 2010. Dans ce sens, un individu choisissant de s’auto-immoler peut attirer une grande attention sur une injustice particulière plus que par n’importe quel autre moyen, et cette attention plus grande sur des problèmes sociaux peut galvaniser des transformations jusque là inimaginables. Et la tradition se poursuit au Việt Nam, tandis que peut-être une douzaine d’auto-immolations ont eu lieu dans ce pays depuis les années 1970.

Plus récemment, le 30 juillet 2012, Bà Đặng Thị Kim Liêng, âgée de 64 ans, s’immolait par le feu à Bạc Liêu puis décédait alors qu’elle était transportée à l’hôpital d’Hồ Chí Minh Ville. Presque cinquante ans après la disparition de Thích Quảng Đức, Bà Đặng Thị Kim Liêng choisit la même méthode de suicide afin de protester ouvertement contre l’emprisonnement de sa fille Tạ Phong Tần, une ex-officier de police arrêtée en septembre 2011 pour avoir blogué sur la corruption du gouvernement vietnamien, les abus policiers et les violations des droits humains. Une semaine avant le procès de sa fille, et après, dit-on, avoir subi harcèlements et intimidations depuis l’arrestation de sa fille, Bà Đặng Thị Kim Liêng approcha un bureau gouvernemental et s’immola par le feu afin de protester contre l’emprisonnement injuste de sa fille. Bien que les médias dirigés par le gouvernement ne rendirent pas public le suicide politique de Bà Đặng Thị Kim Liêng, les informations et les images circulèrent rapidement dans le monde, comme elles le firent en 1963 après le décès par le feu de Thích Quảng Đức. Le 1er août, les Etats-Unis demandèrent au Việt Nam de libérer les trois blogueurs détenus, déclarant que les Etats-Unis étaient « profondément inquiets et attristés » par le suicide de Bà Đặng Thị Kim Liêng.

Les endeuillés aux côtés de Bà Đặng Thị Kim Liêng

Des suicides publics aussi choquants représentent la forme ultime de protestation, ayant le potentiel d’incitation au changement ou même à la révolution, comme nous le voyons au Moyen Orient et en Afrique du Nord. « L’auto-immolation rend les autorités nerveuses – qu’elles soient démocratiques ou totalitaires », observait le Guardian UK en début d’année. « Pour certains, le décès par le feu est la négation ultime de l’individualité, un acte futile d’agression contre soi-même. Mais l’auto-immolation inspire chez les autres la croyance selon laquelle la souffrance individuelle peut mettre en marche des changements bien plus importants qu’une mort horrifiante ». Actuellement, l’auto-immolation de Bà Đặng Thị Kim Liêng a toujours un  impact, avec des conséquences politiques ou sociales encore inconnues, mise à part la déclaration faite par les Etats-Unis (recommandant la libération de Tạ Phong Tần et de deux autres blogueurs) et mise à part l’apparente « enquête » sur le décès de Bà Đặng Thị Kim Liêng et le report du procès des blogueurs. Et bien que les auteurs dans le monde rédigeront certainement des éditoriaux plus approfondis dans les jours et semaines à venir, nous réimprimons ci-dessous l’article de l’Associated Press le plus largement diffusé sur le suicide politique de Bà Đặng Thị Kim Liêng.

Julie Thi Underhill

rédactrice en chef
diaCRITICS

LA MERE DU BLOGUEUR VIETNAMIEN DECEDE APRES S’ETRE IMMOLEE PAR LE FEU A L’APPROCHE DU PROCES DE SA FILLE

Les funérailles de Bà Đặng Thị Kim Liêng

HANOI, Viet Nam (AP) – Les Etats-Unis ont exprimé leur profonde inquiétude et leur tristesse concernant l’auto-immolation de la mère d’une importante blogueuse vietnamienne et ont appelé le gouvernement communiste à libérer sa fille et deux autres écrivains faisant l’objet d’un procès.

Un officier de police de la province méridionale de Bac Lieu déclarait mardi que Dang Thi Kim Lieng, âgée de 64 ans, était décédée lundi après-midi alors qu’elle était transportée à l’hôpital d’Ho Chi Minh Ville après s’être immolée par le feu le matin-même. Son décès n’a pas été annoncé par les médias dirigés par l’Etat.

La fille de Lieng, Ta Phong Tan, est une ex-officier de police qui rédigeait Cong ly va su that (Justice et Vérité), un blog traitant de questions de justice sociale. Elle a été arrêtée en septembre dernier pour le motif de conduite de propagande contre l’Etat.

Ta Phong Tan

L’ambassade des Etats-Unis déclara dans un communiqué qu’elle était « profondément inquiète et attristée » d’apprendre le décès de Lieng et a appelé le gouvernement vietnamien à libérer les trois blogueurs immédiatement.

L’avocat Ha Huy Son a déclaré mardi qu’il était prévu que Tan et deux autres blogueurs fassent l’objet d’un procès le 7 août. Tous les trois font partie de l’illégal Club des Journalistes Libres et sont accusés d’avoir posté et écrit des centaines d’articles « déformant l’image et contestant » le gouvernement communiste.

S’ils sont condamnés, les trois auteurs risquent jusqu’à 20 ans de prison.

Les autres blogueurs sont Nguyen Van Hai, surnommé Dieu Cay, et Phan Thanh Hai, surnommé Anhbasg. Ils ont été respectivement arrêtés en 2008 et 2010, pour les mêmes motifs que Tan, et sont de plus accusés de participer à un programme d’entrainement de non-violence visant à renverser le gouvernement.

Bien que Nguyen Van Hai ait terminé de purger une peine de 30 mois pour évasion fiscale en octobre 2010, il n’a pas été libéré.

Lors d’une visite à Hanoi ce mois-ci, la secrétaire d’Etat américaine Hillary Rodham Clinton a mentionné le Club des Journalistes Libres alors qu’elle déclarait être inquiète du manque de liberté sur Internet et de l’emprisonnement de journalistes, blogueurs, avocats et dissidents vietnamiens pour expression pacifique.

Le Viet Nam est un Etat à parti unique qui ne tolère par les mises en cause de son autorité.

 

Julie Thi Underhill est artiste, photographe, réalisatrice, écrivaine, historienne et étudiante en doctorat d’Etudes ethniques à Berkeley. Son domaine d’expertise couvre les études Cham, les diasporas, la mémoire, les films/vidéos asiatico-américains, l’histoire asiatico-américaine et les féminismes transnationaux. Elle est rédactrice en chef à diaCRITICS.

Anne Dao écrit en anglais et en français. Elle détient un Master de philosophie et une licence d’anglais, obtenus à l’Université de Strasbourg en France. Entre autres activités, elle est traductrice et tarologue. Elle est l’auteure de Promenade avec ma pudeur, essai féministe. Ses domaines de recherche incluent la spiritualité et les médecines naturelles/traditionnelles. Plus d’infos : annedao.wordpress.com (tarologie)  annedaowriting.wordpress.com (textes)

Associated Press est la plus ancienne et la plus grande agence de presse au monde. 

Prenez s’il vous plaît le temps de noter ce post (ci-dessus) et de le partager (ci-dessous). Les notes des meilleurs posts sont listées sur la colonne de droite. Partager (par email, Facebook, etc.) permet de faire connaître diaCRITICS. Et rejoignez la conversation et laissez un commentaire ! Que pensez-vous de la pratique de l’auto-immolation, notamment dans ces circonstances particulières ?

LEAVE A REPLY

Please enter your comment!
Please enter your name here